Vol au-dessus d’un nid de coucou

C’est ainsi que je me sentais, cette semaine, en descendant l’escalier du métro Berri, sur Maisonneuve, à Montréal. Déjà dans cette entrée peu invitante, on pouvait sentir et observer la décadence des lieux et la morosité de ses « habitants ». Il y avait un trop-plein d’énergie dans l’air et une sorte de crise montante chez ses occupants. Peu de gens utilisent cette entrée vers l’enfer, mis à part les utilisateurs obligés et quelques touristes égarés. On y pénètre d’ailleurs en se cachant le visage et en se bouchant le nez, tout en évitant de trop regarder cette scène inquiétante et désarmante, mais aussi par respect pour les personnes qui y vivent.

J’utilise moi-même cette entrée à ma sortie de l’autobus, et il me semble qu’à chaque fois, les lieux se détériorent toujours un peu plus et les êtres humains qui s’y trouvent apparaissent encore plus vulnérables et plus à risque de dérapage. La misère engendre la misère, pourrait-on penser à tort ou à raison.

En descendant l’escalier roulant et nauséabond avec son plein de flaques d’urine et de divers détritus, un individu obstruait le passage des portes conduisant dans l’espace métro. Jambes écartées, bras en l’air, en jaquette, yeux exorbités et vociférant quelques insanités, le pauvre homme semblait directement sorti de Vol au-dessus d’un nid de coucou, ce film impressionnant des années 1970 signé Miloš Forman.

Peut-on se demander comment une telle situation est possible et tolérable en 2023, dans un pays d’abondance, avec plein de technologies de pointe soi-disant au service de l’humanité ? Pourquoi sommes-nous rendus si impuissants comme individus et comme société pour soigner convenablement nos frères et nos sœurs malades et intoxiqués ? Comment en est-on arrivé à cette croissance exponentielle de maladies mentales chez nos collègues humains moins chanceux, moins privilégiés et à la merci d’une société qui les ignorent ou qui les fuient ?

À la source

Comme pédiatre social, je vois plein d’enfants exposés à des stress toxiques et à des traumatismes de vie qui altèrent leurs cerveaux dès le jeune âge, les rendant ainsi à risque de se retrouver eux aussi à la rue à 18 ans (bien avant, dans certains cas). Ils développent des retards incontournables, des anxiétés sévères et des échecs accumulés qui les conduisent vers des pertes de contrôle, des comportements extrêmes et même vers le suicide — réussi ou pas —, et ce, dans un état de grande démotivation et de perte d’espoir.

Nous ne comptons plus la quantité de droits bafoués chez ces enfants, tout en sachant pertinemment qu’agir précocement et préventivement avec eux permettrait de renverser la vapeur et de réparer les dégâts accumulés avant qu’il ne soit trop tard. Il suffirait qu’on leur porte attention comme nous le faisons pour nos propres enfants, avec empathie et passion. Il suffirait que nous les aidions à découvrir leurs forces et leurs talents pour qu’ils puissent eux-mêmes les utiliser pour se remettre en piste et retrouver confiance en eux-mêmes. Il suffirait de mettre à leur disposition les outils de base pour y arriver. Ce coup de pouce puissant permettrait à un grand nombre d’entre eux d’amorcer une trajectoire de succès et de réussites.

Carl, un jeune de huit ans, en était à sa troisième tentative de suicide quand nous l’avons rencontré en clinique. Dès le premier regard, on pouvait sentir les émotions profondes qui l’habitaient. Son corps lui-même en portait des traces évidentes. Tous ses sens étaient en état d’alerte, comme s’il faisait face à un grand danger imminent. Il n’était que l’ombre de lui-même, selon son père récemment revenu dans sa vie. Son histoire de vie, faite de deuils multiples et de traumatismes fréquents et chroniques, était pénible à entendre. En réponse à toutes nos questions, il ne cessait de répéter le mot colère, colère, colère…

Étonnamment, il restait présent avec nous, avide de tout raconter et de participer à l’échange, même si on se rencontrait pour la première fois. Il faut dire qu’un de ses amis proches l’avait incité à nous rencontrer et qu’on avait, ainsi, un certain niveau de confiance au départ. On se quitta avec une promesse de ne pas passer à l’acte sans nous appeler, un engagement de faire de la musique avec notre équipe (commençant dès la fin de notre rencontre) et un petit sourire d’avoir trouvé preneur. Le coup de pouce venait de s’amorcer.

DGilles Julien
Fondateur, pédiatre social
Porte-parole et vice-président du conseil d’administration
Fondation Dr Julien

Dr Gilles Julien

À Propos de la pédiatrie sociale

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