Agir encore plus tôt pour les enfants

Les nouvelles ne sont pas bonnes encore cette semaine. En plus d’une nouvelle vague qui frappe à nos portes, on revient sur notre piètre rendement par rapport à la qualité de services offerts aux enfants au Québec. Le nombre de signalements à la DPJ a repris de plus belle avec l’ouverture des écoles, les retards scolaires d’un grand nombre d’enfants sont de plus en plus inquiétants, tous âges confondus, et l’accès aux services de santé est encore plus précaire qu’avant la pandémie.

Pendant ce temps au Québec, on se prépare à recevoir les grandes recommandations de la Commission Laurent envers laquelle les attentes semblent un peu démesurées. La Commission apportera-t-elle toutes les solutions à tous les problèmes de ces enfants qu’on aime tant? La Commission aura-t-elle les moyens de ses ambitions? On espère tous que oui et on attend avec impatience.

Officiellement, on parle déjà de prévention, de travail en amont, comme le projet «Agir tôt». Ce langage est une musique à nos oreilles et on ne peut qu’être d’accord avec cette orientation, si elle se concrétise rapidement.

Permettons-nous cependant d’ajouter qu’il faudrait agir encore plus tôt, car les délais dans les soins globaux font de plus en plus mal aux enfants et le temps perdu ne revient plus pour tous ces jeunes en attente de services. Pour agir plus tôt, il faut maintenant renforcer la première ligne, soit les milieux et les cliniques de proximité, là où le vrai travail de terrain commence et là où on peut offrir rapidement le soutien de base nécessaire aux enfants, quel que soit le problème, sauf exception. Plus cette première ligne sera bien équipée, plus l’accueil, le dépistage et l’action auprès des enfants et des familles seront rapides et efficaces. Plus efficaces seront ces changements, plus facile d’accès seront les interventions plus spécialisées, lorsque vraiment requises. Cela s’appelle une optimisation des ressources.

L’enfant qui ne parle pas à deux ans n’a pas besoin tout de suite d’une grande équipe ultraspécialisée ni d’ailleurs d’une orthophoniste à tout prix dans l’immédiat. Il a plutôt besoin d’un entourage qui le motive à parler, d’un accompagnement des parents pour les aider à augmenter la stimulation de base et d’une première ligne médicale pour s’assurer qu’il n’y a pas de surdité ou d’autres maladies associées.

Pour l’enfant en possible difficulté d’apprentissage, il faut s’assurer d’abord qu’il a tous les outils pour une rentrée scolaire réussie, que l’école dispose de moyens suffisants pour le soutenir adéquatement, qu’il a accès à un programme d’aide aux devoirs dans le milieu et d’une équipe locale pour en comprendre les causes.

Pour l’enfant négligé avec des parents qui n’y arrivent pas, le besoin touche encore plus le niveau de première ligne pour accompagner les parents dans la mesure de leurs capacités, pour les soutenir en ce qui concerne leurs besoins de répit, pour les aider à combler leurs besoins primaires et pour leur donner accès à une équipe pouvant agir pour bien aborder les difficultés liées à leur santé globale (ex. problèmes de santé mentale). Dans un deuxième temps et en cas d’échec des mesures locales, l’appel à la Protection de la jeunesse pourra s’actualiser dans des délais normaux.

Quand on me demande de référer d’emblée un enfant avec des difficultés de développement, de performance ou d’adaptation, soit en neuropsychologie ou en pédopsychiatrie ou encore en clinique spécialisée de développement, cela, pour moi, relève de la pensée magique avec une perte de temps et d’énergie et un coût exorbitant. Dans une grande majorité de cas, l’approche de proximité de première ligne va permettre de déterminer des causes environnementales faciles à gérer avec les «moyens du bord», soit avec la mise en place d’un plan d’action intégré à début rapide. Si cette première ligne juge qu’il faut agir plus intensément pour une raison médicale ou sociale ou encore par manque de moyens, la référence est alors indiquée et immédiate. Cette harmonisation des soins de base et des soins spécialisés devrait être une grande priorité de la réforme souhaitée.

Notre réflexion commune doit fondamentalement porter sur le renforcement de la première ligne de proximité et l’harmonisation de cette première ligne avec des soins plus spécialisés. Cela est vrai pour les hôpitaux et pour la DPJ, entre autres. Agir plus tôt avec une grande mobilisation dans les communautés sera gage de succès à moindre coût et avec une plus grande efficacité.

Notre crainte, c’est qu’on investisse trop vite et trop massivement dans les services secondaires et tertiaires (spécialisés) avec une première ligne trop affaiblie qui ne pourrait pas s’impliquer. Les besoins et les attentes des enfants vulnérables ont grandi ces dernières années, les grands systèmes ont grossi en conséquence, ils ont même fusionné, pensant se renforcer, mais ils n’ont pas réussi à se renouveler. Attention donc à ne pas créer un problème d’obésité morbide dans les grands systèmes, avec les conséquences que l’on connaît.

DGilles Julien
Pédiatre social et directeur clinique,
président fondateur, Fondation Dr Julien

Dr Gilles Julien

À Propos de la pédiatrie sociale

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